Texte de cadrage (français)

(re)construction(s)

 

La construction, ou la reconstruction, à Reims, est littérale et métaphorique. En son cœur se trouve la cathédrale où s’est construite, durant des siècles, une histoire qui va bien au-delà de la ville. La construction de cet édifice emblématique du paysage rémois témoigne de la dynamique de l’architecture gothique au Moyen Âge, mais son histoire est faite d’une série de destructions et de reconstructions : incendies, révolution, guerres… Elle porte la marque de Viollet-le-Duc dans certaines de ses pierres et, au cours de la première guerre mondiale, elle fut bombardée, recevant 288 obus, dans une ville presque entièrement dévastée.

Dans les années 20, elle est ensuite au cœur d’un débat sur la reconstruction qui se répétera, plus tard, dans de nombreuses villes de France après la seconde guerre mondiale : faut-il s’efforcer de reconstruire à l’identique, ou faut-il créer du neuf ? Reims fait l’objet de financements venant des Etats-Unis, comme en témoigne la rue Rockefeller, mais surtout la magnifique Bibliothèque Carnegie, l’un des joyaux de l’art déco rémois, ou encore les halles Boulingrin créées par Emile Maigrot dans le cadre du plan de reconstruction de l’architecte américain George Burdett Ford.

On pourra donc envisager une réflexion sur la reconstruction des villes, mais aussi des Etats, des nations et des empires, à la suite de conflits ou de catastrophes : guerres civiles, guerres de libération, conflits territoriaux, révolutions, soulèvements, catastrophes naturelles ou consécutives à la guerre, que ces événements soient réels ou imaginaires.

L’année 2017 est aussi le 500e anniversaire de la diffusion des 95 thèses de Luther en octobre 1517, geste qui conduira à une reconstruction ecclésiastique autant au sein de l’Eglise d’Angleterre, passée sous le régime de la suprématie royale, que parmi les récusants qui tentent de reconstruire une Eglise anglaise fidèle à la papauté. On retrouve d’ailleurs ces derniers à Reims en 1578, sous la houlette du cardinal William Allen, où ils traduisent la célèbre Bible de Douai-Reims. Richard Baines, l’espion accusateur de Christopher Marlowe, est l’un d’eux.

Les approches postcoloniales se trouveront particulièrement bienvenues pour nourrir la réflexion sur le processus de reconstruction de nations devenues indépendantes, à travers les structures étatiques certes mais aussi à travers la culture, l’art, la littérature et la langue.

On pourra penser aussi à la reconstruction du patrimoine, qu’il s’agisse des monuments, du patrimoine artistique ou du patrimoine littéraire. On pourrait ainsi s’interroger sur la construction ou la reconstruction à travers les âges, des canons littéraires et artistiques — pensons à Edmund Spenser s’efforçant de recréer une langue pseudo-archaïque ou aux Préraphaélites imitant la peinture du XVe siècle, à la Renaissance celtique irlandaise qui reconstruit une langue et une littérature gaéliques  — ou se demander comment l’histoire de l’art et l’histoire littéraire ont pu reconstruire a posteriori des mouvements, des écoles ou des genres, tels que le classicisme, le réalisme, le modernisme, le postmodernisme, etc.

Les spécialistes de littérature ou d’histoire de l’art peuvent aussi explorer les liens construits entre texte et image, ceci s’appliquant également à l’adaptation cinématographique.

Les historiens seront particulièrement invités à s’interroger sur l’idée de la reconstruction du passé, par exemple à travers le débat entre ceux qui considèrent l’histoire comme un discours ou un récit parmi d’autres, et ceux pour qui l’archive garantit le travail de l’historien.

En ce qui concerne les pays autrefois colonisés, on s’intéressera aux possibles ré-écritures de l’histoire, comme c’est le cas de l’école dite révisionniste en Irlande.

Ce débat concerne également la littérature quand elle vise à reconstruire le réel, par exemple à travers le roman réaliste, le roman historique, l’autobiographie, l’autofiction, etc, mais également lorsqu’on cherche à reconstruire l’itinéraire de la création d’une œuvre par l’étude des manuscrits ou des différentes éditions. Il en va de même pour l’histoire des représentations théâtrales, et de l’histoire littéraire en général. Au Royaume-Uni, la reconstruction du théâtre du Globe témoigne ainsi du fantasme de la reconstruction authentique. La question de la reconstruction mène à s’interroger sur la notion d’authenticité, voire de la nostalgie de l’original, qui est au cœur du postmodernisme.

En langue, la notion de (re)construction pose tout d’abord la question même de la construction de la langue anglaise et notamment celle de l’établissement d’une norme commune et du maintien de cette norme face aux influences extérieures (emprunts étrangers notamment) et aux modifications de l’usage par les nouvelles générations, souvent perçues comme « destructrices » du bon usage.

La notion de (re)construction peut aussi s’appréhender sous l’angle du modèle linguistique : comment construire un modèle abstrait, une grammaire ou une phonologie qui permette de rendre compte de manière satisfaisante de la diversité des formes et emplois propres à une langue naturelle ? Comment critiquer, ajuster ou renouveler les modèles existants ?

Enfin, le thème du congrès nous invite à nous intéresser plus spécifiquement au champ des grammaires de construction qui, par leur refus d’une grammaire universelle innée, constituent implicitement une déconstruction du modèle générativiste, jusque-là dominant chez les linguistes américains notamment.

Les spécialistes de traduction pourront envisager leur pratique comme une re-création, les re-traductions comme des  ré-écritures ou des ré-adaptations : pourquoi est-il nécessaire de re-traduire les textes ? La traduction est-elle la reconstruction d’un texte dans une autre langue ?

Plus largement, la notion de « reconstruction » peut être envisagée comme centrale dans un débat actuel, où un courant intellectuel cherche à remettre en question la déconstruction théorisée par Jacques Derrida et qui a servi de fondement à une pensée relativiste, du décentrement et de la différance. Faut-il donc reconstruire aujourd’hui une pensée des « textes » et rebâtir des systèmes de lecture et d’interprétation qui laissent moins de place au jeu et au décentrement ?

Dans le domaine de la didactique, tant en psycholinguistique qu’en acquisition, on pourrait s’intéresser aux processus cognitifs de déconstruction-reconstruction contribuant à la construction de sens chez les apprenants ainsi qu’aux démarches auxquelles ont recours les enseignants ou les chercheurs en didactique pour l’appropriation de la langue étrangère.